Lorsque le notaire reçoit acte de cession de fonds de commerce de débit de boissons, il n’engage sa responsabilité, au regard des déclarations erronées du cessionnaire sur sa capacité à l’exploiter résultant de l’absence de condamnation pénale, que s’il est établi qu’il disposait d’éléments de nature à faire douter de leur véracité ou de leur exactitude.

Civ. 1re, 6 sept. 2017, FS-P+B, n° 16-18.524

Le notaire engage sa responsabilité lorsque l’utilité et l’efficacité des actes qu’il rédige sont remises en cause faute de vérification de sa part des faits et conditions nécessaires pour les assurer (Civ. 1re, 4 janv. 1966, Bull. civ. I, n° 7 ; D. 1966. 227, note D. Mazeaud ; JCP 1966. II. 14590, note O. D).

L’arrêt rendu le 6 septembre 2017 par la première chambre civile rappelle toutefois les limites de cette responsabilité en cas de déclarations erronées d’une des parties.

En l’espèce, à l’occasion d’une cession de fonds de commerce comprenant un débit de boisson, le cessionnaire avait affirmé au notaire, chargé de rédiger l’acte de cession, n’être frappé d’aucune incapacité l’empêchant d’ouvrir un tel commerce. Pourtant, quelques mois après la conclusion de la vente, le tribunal correctionnel ordonna sa fermeture et condamna le cessionnaire pour l’avoir ouvert malgré une interdiction de plein droit de le faire en raison de plusieurs condamnations antérieures. Un tribunal de commerce devait ensuite résoudre la vente pour non-paiement du prix, poussant le cédant à assigner le notaire en responsabilité et en indemnisation.

Faisant droit à cette demande, la cour d’appel d’Agen retenait un manquement dans l’établissement de l’acte de cession de la part du notaire qui n’avait pas vérifié la capacité de l’acheteur à ouvrir un débit de boisson auprès du procureur de la République, dès lors que les dispositions de l’article L. 3332-4-1 du code de la santé publique prévoient l’obligation, pour toute personne voulant ouvrir un débit de boissons, de faire une déclaration transmise à ce dernier.

Sur pourvoi du notaire, la première chambre civile casse cependant l’arrêt d’appel au visa de l’article 1382, devenu 1240, du code civil, et rappelle que, « lorsque le notaire reçoit acte de cession de fonds de commerce de débit de boissons, il n’engage sa responsabilité, au regard des déclarations erronées du cessionnaire sur sa capacité à l’exploiter résultant de l’absence de condamnation pénale, que s’il est établi qu’il disposait d’éléments de nature à faire douter de leur véracité ou de leur exactitude ». Elle censure ainsi la cour d’appel pour avoir retenu la responsabilité du notaire alors que, dans le même temps, elle constatait l’inexactitude des déclarations faites par le cédant et l’absence d’éléments permettant à celui-ci de douter de la véracité ou de l’exactitude de ces déclarations.

La règle est simple : si, au regard des éléments et des déclarations fournis par les parties, le notaire a un doute, il a l’obligation de procéder à des vérifications afin d’assurer l’efficacité de l’acte de vente qu’il rédige, sans quoi, il engage sa responsabilité. S’il n’a pas de doute, il n’est pas obligé de procéder à ces vérifications et, si les déclarations faites par les parties sont inexactes, il n’engage pas sa responsabilité. Reste néanmoins à savoir comment se caractérise le doute.

L’arrêt peut surprendre quand on le compare à d’anciennes solutions portant sur des cessions de fonds de commerce avec débit de boisson par lesquelles la première chambre civile a décidé qu’en vertu de son devoir de conseil, le notaire avait l’obligation, en s’adressant tant au procureur de la République qu’à l’administration fiscale compétente, de s’assurer que le fonds ne fait l’objet d’aucune décision limitant ou empêchant son exploitation normale et entraînant le retrait de la licence (Civ. 1re, 10 déc. 1985, n° 84-15.015, Bull. civ. I, n° 340) et que ses clients ne sont pas condamnés pour crimes de droit commun ou pour certains délits entraînant une incapacité perpétuelle d’exploiter un débit de boisson (Civ. 1re, 9 nov. 1999, n° 97-14.521).

La première chambre civile ne va cependant pas à rebours de ces solutions, elle les complète. L’obligation de vérification qui incombe au notaire en vertu de son devoir de conseil n’est pas remise en cause, elle est conditionnée. La Cour de cassation précise qu’elle n’est pas automatique et qu’elle n’existe qu’en cas de doute sur la véracité des déclarations faites par une des parties.

Cette solution, davantage protectrice du notaire que du vendeur, peut paraître sévère puisque, de prime abord, il aurait suffi pour l’officier ministériel de se tourner vers le procureur de la République pour connaître la situation exacte du cessionnaire et éviter la conclusion de la vente comme sa résolution. Pourtant, il s’avère que, même en le faisant, le notaire n’aurait pas pu connaître l’incapacité qui frappait le cessionnaire en raison des condamnations dont il a fait l’objet ; précisément parce que celles-ci figurent sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire ne pouvant, en vertu des articles 774 et suivants du code de procédure pénale, être transmis, dans sa totalité, qu’à un nombre restreint de personnes, dont le notaire est exclu. Partant, comment reprocher au notaire de ne pas avoir effectué des vérifications qu’il n’était pas en mesure d’obtenir ?

En réalité, la Cour de cassation semble opérer une distinction entre deux situations. Lorsqu’il est aisé pour le notaire de procéder aux vérifications assurant l’efficacité de l’acte rédigé, il a l’obligation de le faire mais, quand il est plus difficile pour lui d’obtenir les informations susceptibles de prouver ou de mettre en échec la véracité des déclarations faites par les parties, cette obligation n’est imposée qu’en cas de doute. C’est pourquoi, lorsqu’il existe une publicité légale facilement accessible  et que la presse a largement diffusé une information par exemple (Civ. 1re, 11 janv. 2017, n° 15-22.776), la Cour de cassation considère que le notaire ne pouvait pas ignorer l’inexactitude de la déclaration faite par l’une des parties. L’obligation de vérification est ici renforcée.

En revanche, son obligation de vérification trouve ses limites quand il ne peut pas savoir. L’obligation de vérification est alors allégée. Récemment, par exemple, la Cour de cassation a précisé que « le notaire chargé de dresser un acte de vente immobilière n’est pas tenu de vérifier la possibilité de procéder à un changement de destination de l’immeuble vendu qui n’est pas mentionné à l’acte et dont il n’a pas été avisé, à moins qu’il n’ait pu raisonnablement l’ignorer » (Civ. 1re, 29 mars 2017, n° 15-50.102).

L’arrêt rapporté démontre que, pour la Cour de cassation, le notaire n’a pas à rechercher ni vérifier ce qu’il peut légitimement ignorer.

Source : DALLOZ