La méconnaissance par l’entreprise de travail temporaire des obligations mises à sa charge à l’égard du salarié, notamment au titre du délai de carence, la rend responsable avec l’entreprise utilisatrice des conséquences financières de la requalification des contrats en CDI.

Soc. 14 févr. 2018, FS-P+B, n° 16-21.940

 

La chambre sociale se fonde implicitement sur la théorie de la fraude pour étendre progressivement les possibilités offertes au travailleur intérimaire d’engagement de responsabilité à l’encontre de l’entreprise de travail temporaire. La Cour avait déjà dans un arrêt du 24 avril 2013 (Soc. 24 avr. 2013, n° 12-11.793, Bull. civ. V, n° 119) approuvé les juges du fond qui avait considéré comme fondée une action en requalification dirigée à l’encontre de l’entreprise utilisatrice et de l’entreprise de travail temporaire pour violation des conditions de recours à l’intérim. Dans cette affaire, les contrats de mission s’étaient succédés sans interruption durant dix-huit mois, au profit du même salarié pour pourvoir le même poste avec des motifs de recours différents. Cette décision n’est pas isolée (Soc. 11 mars 2009, n° 07-42.604,). L’arrêt ici rapporté est intéressant en ce sens qu’il met l’accent sur la responsabilité solidaire de la société utilisatrice et de l’entreprise de travail temporaire.

 

Les faits de l’espèce sont classiques. Une salariée de l’entreprise de travail temporaire a effectué au sein de la société utilisatrice vingt contrats de mission de manutentionnaire, fondés, pour la plupart, sur un motif lié à un accroissement temporaire de l’activité. La salariée a saisi une juridiction prud’homale d’une demande de requalification des contrats de mission en un contrat de travail à durée indéterminée. L’entreprise utilisatrice a appelé en garantie la société de travail temporaire. La cour d’appel (Amiens, 8 juin 2016, n° 14/03841) a condamné l’entreprise de travail temporaire à garantir l’entreprise utilisatrice, dans la limite de 50 %, des condamnations prononcées contrat elle à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité légale de licenciement, d’indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, de dommages-intérêts pour non-respect du droit individuel à la formation, en raison de la requalification en CDI des contrats de mission conclus par une salariée et de la rupture infondée qui en résulte.

 

Au soutien de son pourvoi, l’entreprise de travail temporaire développe l’argumentaire selon lequel ne disposant d’aucun moyen de surveillance et de contrôle de l’usage qui est fait par l’entreprise utilisatrice des contrats de mission, il ne pouvait lui être reproché ni une méconnaissance des dispositions relatives au délai de carence ni d’un prétendu devoir de conseil. La Cour de cassation ne retient pas cette argumentation. Elle rappelle dans un premier temps, conformément à sa ligne jurisprudentielle, que si « l’entreprise utilisatrice ne peut invoquer, pour faire valoir auprès de l’entreprise de travail temporaire des droits afférents à la responsabilité contractuelle, la méconnaissance par cette dernière des obligations mises à sa charge à l’égard du salarié par les articles L. 1251-8, L. 1251-16 et L. 1251-17 du code du travail, il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement si un manquement peut être imputé à l’entreprise de travail temporaire dans l’établissement des contrats de mise à disposition ». Rapporté au cas d’espèce, il a été « constaté que les missions confiées à la salariée pendant plus de trois ans sur un poste de manutentionnaire ne permettaient pas d’écarter l’application du délai de carence » rendant ainsi solidairement responsables l’entreprise utilisatrice et l’entreprise de travail temporaire.

 

On ne peut qu’approuver cette décision tout d’abord sur un plan juridique dans la mesure où le non-respect du délai de carence constitue une violation caractérisée des dispositions relatives aux conditions du renouvellement des missions mais aussi à l’interdiction plus générale de pourvoir durablement un emploi permanent dans l’entreprise utilisatrice. Ensuite, cette décision permet de faire face à la logique strictement économique des entreprises de travail temporaire qui consiste à faire supporter par d’autres les risques liés à la relation de travail. D’ailleurs, le contrôle lié aux motifs de recours et de son renouvellement ainsi que plus largement au formalisme du contrat est de la responsabilité de l’entreprise de travail temporaire. Il semble alors logique qu’elle soit touchée par le salarié intérimaire. Cette décision participe également à la logique du durcissement des sanctions liées au non-respect des dispositions applicables en matière de contrats précaires.

 

Source : Editions DALLOZ