La possibilité de mettre en location le bien acheté peut être envisagée comme une qualité essentielle de la chose, de nature à déterminer le consentement de l’acquéreur. Si cette qualité fait défaut, l’acquéreur peut solliciter l’annulation de la vente en se prévalant d’une erreur sur la substance. Bien qu’il soit une SCI, dont l’objet social porte sur la location et la gestion de biens immobiliers, l’acquéreur n’est pas considéré comme un professionnel, ce qui rend son erreur excusable et sa demande recevable.  

Civ. 3e, 3 mai 2018, FS-P+B, n° 17-11.132

En l’espèce, deux époux vendent à une SCI un appartement d’une superficie de 13,49 m², alors loué à un tiers. Postérieurement à la réitération de la vente, le service communal d’hygiène et de santé informe la SCI que le local, dont la superficie de la pièce principale est inférieure à 9 m², ne respecte pas la réglementation en vigueur et qu’il convient de faire cesser sans délai toute occupation. La SCI assigne alors les vendeurs, le notaire instrumentaire, l’agent immobilier ainsi que l’établissement de crédit, aux fins d’annulation de la vente et du prêt. La SCI obtient gain de cause au fond. Plusieurs pourvois sont alors formés devant la Cour de cassation.

 

Les vendeurs et l’agent immobilier invoquent plusieurs moyens au soutien de leur pourvoi. Ils font notamment valoir que l’erreur dont se prévaut la SCI ne peut pas être qualifiée d’erreur sur la substance dès lors qu’elle porte sur les possibilités juridiques d’exploitation du bien, préexistantes à la vente. D’autre part, l’erreur évoquée par la SCI doit être considérée comme inexcusable dès lors que son objet social porte sur « l’acquisition, la location, l’édification, l’exploitation et la gestion ainsi que la cession éventuelle de tous immeubles, biens et droits immobiliers », ce qui implique que son acquisition soit intervenue en parfaite connaissance des dimensions et caractéristiques du local.

 

La Cour de cassation rejette ce pourvoi. Elle retient que l’acte authentique de vente stipulait que le bien était vendu loué, qu’en se portant acquéreur du logement, la SCI entendait « disposer de la pleine propriété du bien comprenant la possibilité de le mettre en location, qu’il s’agissait d’une qualité essentielle de la chose vendue qui était entrée dans le champ contractuel et qui avait été déterminante de son consentement ». Une fois l’erreur sur la substance caractérisée, la Haute Juridiction reconnait qu’il s’agit en outre d’une erreur excusable, puisque la SCI « n’avait pas la qualité de professionnel de l’immobilier ».

 

En réponse à d’autres pourvois, la Cour de cassation est également amenée à préciser que la SCI n’est pas tenue de restituer les loyers perçus dès lors que son erreur est excusable et qu’elle n’est pas de mauvaise foi (conformément à l’art. 549 c. civ. disposant que « le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi »). De même, la Cour de cassation rappelle, conformément à une jurisprudence constante, que la condamnation des vendeurs à restituer le prix de vente ne constitue pas un préjudice indemnisable ; ce faisant, le notaire et l’agent immobilier ne peuvent être tenus de les garantir de leur condamnation.

 

Selon l’article 1110 ancien du code civil, « l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet ». Alors que la substance de la chose était originellement assimilée à la matière dont la chose était faite, selon une approche exclusivement matérielle, la jurisprudence a consacré une conception subjective de la substance, entendue comme les « qualités substantielles » de la chose. Cette interprétation a été reprise à droit constant par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. L’article 1132 du code civil prévoit désormais que « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant ». En matière immobilière, les possibilités d’exploitation offertes par le bien peuvent être considérées comme des qualités substantielles (Civ. 3e, 27 nov. 1969, Bull. civ. III, n° 765 ; 20 mars 1996, n° 94-12.704, Bull. civ. III, n° 84).

 

Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que la Cour de cassation ait qualifié d’erreur sur la substance, l’erreur commise sur la possibilité de mettre en location le bien. Par ailleurs, cette faculté avait intégré le champ contractuel, par une mention de la location portée à l’acte de vente, et avait déterminé le consentement de l’acquéreur.

 

Néanmoins, l’erreur n’est une cause de nullité du contrat que si elle est excusable. Est qualifiée d’inexcusable, l’erreur grossière qui aurait pu facilement être évitée par l’acquéreur, soit parce qu’il ne pouvait ignorer le fait dont il se prévaut, soit parce qu’il ne s’est pas suffisamment renseigné. Ceci étant, le juge apprécie plus sévèrement l’erreur du professionnel qui contracte dans sa sphère de compétence habituelle, car celui-ci est réputé connaître les enjeux de sa démarche, ou au besoin, la nécessité de s’informer à cet effet. En l’espèce, l’acquéreur était une SCI dont l’objet social portait précisément sur « l’acquisition, la location, l’exploitation et la gestion de tous biens immobiliers », des activités en lien avec le contrat conclu. Encore récemment la Cour de cassation indiquait qu’une SCI dont l’objet social est en rapport direct avec l’acte accompli est un contractant professionnel, y compris si elle a été constituée par un particulier, pour une opération unique visant à satisfaire ses besoins personnels (Civ. 3e, 21 oct. 2012, n° 11-18.774, RTD com. 2013. 106, obs. M.-H. Monsèrié-Bon).

 

Pourtant, la Cour de cassation estime ici que la SCI n’a pas la qualité de professionnel de l’immobilier et que ce faisant, sa méconnaissance des conditions de location du bien constitue une erreur excusable, susceptible de justifier l’annulation de la vente. L’exposé des motifs révèle que le compromis avait été régularisé par l’un des futurs associés de la SCI, en qualité de personne physique, non professionnel de l’immobilier, et que les statuts de la SCI avaient été déposés très peu de temps avant la réitération de la vente. Sans le mentionner explicitement dans le dispositif de la décision, la Cour de cassation a pu éventuellement considérer qu’en dépit de sa qualité, la SCI n’avait pas la compétence d’un professionnel de l’immobilier, ce qui a rendu son erreur excusable. En définitive, une SCI dont l’objet social est en lien direct avec l’acte conclu n’est pas nécessairement qualifiée de professionnel en toutes circonstances.

 

Source DALLOZ