La faute lourde est caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise.
Dans une jurisprudence récente, le salarié a été engagé le 23 juin 1998 en qualité de chef de mission par la société. En dernier lieu, il occupait les fonctions de directeur d’agence. Il a saisi la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Par lettre en date du 29 novembre 2005, l’employeur a notifié au salarié son licenciement pour faute lourde. La lettre de licenciement faisait état d’ « agissements inadmissibles » et d’une « volonté délibérée de nuire aux intérêts de notre société ». La lettre précisait à l’encontre du salarié : « vous avez mis en œuvre des actions clairement déloyales aboutissant au départ de notre clientèle et avez, au mépris de vos obligations contractuelles, déontologiques et de la plus élémentaire loyauté, ouvert des locaux professionnels à votre nom ».
Demandes et argumentations
Pour déclarer le licenciement fondé sur une faute lourde, la Cour d’appel de Nîmes avait retenu que le salarié, sans se contenter de remplir son obligation contractuelle d’information, avait tenu devant les clients de son employeur des propos contraires aux intérêts de celui-ci en remettant en question le bien-fondé de sa politique tarifaire, que ce faisant il avait fait preuve de déloyauté à l’égard de son employeur en le plaçant en situation de porte-à-faux vis-à-vis de plusieurs de ses clients sur l’un des éléments essentiels de la relation contractuelle à savoir le prix de la prestation, que compte tenu de son niveau de responsabilité (directeur d’agence) et de sa qualification (expert-comptable), l’auteur de ces propos dénigrant la politique tarifaire de la société devant la clientèle ne pouvait ignorer leur impact et leur caractère préjudiciable et que ces agissements caractérisaient l’intention de nuire à l’employeur.

La Cour de cassation accueille le pourvoi de l’employeur au visa de l’article L. 3141-26 du Code du travail, dans sa rédaction résultant de la décision n° 2015-523 du Conseil constitutionnel en date du 2 mars 2016 (censurant la privation des indemnités compensatrices de congés payés en cas de rupture pour faute lourde du salarié) : « Attendu que la faute lourde est caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise ». On retrouve mot pour mot la motivation d’une décision publiée récemment au bulletin (Cass. soc., 22 oct. 2015, n° 14-11.291).
Ne pas confondre acte préjudiciable et volonté de porter préjudice
Il est de jurisprudence constante en effet que la faute lourde ne se définit pas à raison de sa gravité mais de l’intention qui anime l’auteur : il y a faute lourde si une intention de nuire est caractérisée (Cass. soc., 3 oct. 1990, n° 88-42.334). La volonté de l’employeur d’obtenir réparation d’un préjudice étant l’un des mobiles de la qualification de faute lourde, de nombreux litiges se concentrent sur les liens entre préjudice et faute lourde. Sur ce point, la Cour de cassation fait preuve d’une rigueur sans défaut : le seul constat d’un préjudice ne suffit pas à établir la faute lourde ; n’est pas non plus pertinent le fait que le salarié ait conscience du préjudice qu’il porte. Il faut en effet distinguer les effets du comportement fautif – et leur conscience – de l’intention de l’auteur.

Ce n’est que s’il est démontré que ce dernier a eu l’intention de nuire à l’employeur que la qualification de faute lourde peut être retenue.
En l’espèce, les juges du fond avaient raisonné par une sorte de présomption : en dénigrant la politique tarifaire de la société devant la clientèle, le salarié ne pouvait ignorer leur impact et leur caractère préjudiciable, de sorte que ces agissements caractérisaient l’intention de nuire à l’employeur. Pour la Cour de cassation, par des motifs impropres à caractériser la volonté de nuire du salarié, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
L’arrêt commenté confirme à la fois le contrôle strict exercé par la Cour de cassation sur la qualification de faute lourde et l’extrême difficulté pour l’employeur à se placer sur ce terrain. Il lui incombe d’apporter la preuve d’une telle faute, par conséquent de démontrer l’élément intentionnel (Cass. soc., 5 mars 1981, n° 78-41.806).

La recherche du mobile peut s’avérer diabolique. Les terrains propices à la faute lourde sont la concurrence déloyale (Cass. soc., 15 déc. 2011, n° 10-21.926) et le dénigrement de l’entreprise ou de ses dirigeants (Cass. soc., 19 janv. 2012, n° 10-18.708). Encore faut-il rappeler que de tels faits, même s’ils sont avérés, ne suffisent pas, par eux-mêmes, à valoir une faute lourde.

La seule déloyauté éventuelle du salarié ne suffit pas à caractériser une intention de nuire à son employeur (Cass. soc., 2 févr. 2011, n° 09-42.943). Des faits circonstanciés sont nécessaires à l’appui de la faute lourde. Ainsi, est caractérisée l’intention de nuire par le fait que le salarié « avait participé activement au détournement d’un client de son employeur et ce même après le départ de son supérieur hiérarchique immédiat, dissimulé tant à l’ancienne direction qu’à la nouvelle, sa prise de participation au capital et à l’administration d’une société concurrente de son employeur et fait payer à ce dernier les factures de prestation de services fournies à la société concurrente pour laquelle il avait effectué gratuitement des audits » (Cass. soc., 15 déc. 2011, n° 10-21.926). L’arrêt commenté illustre cette rigueur : le dénigrement n’est pas constitutif, en soi, d’une faute lourde. Face à de telles exigences, il apparaît que le vol, même réitéré, ne peut pas constituer une faute lourde en tant que tel, pas plus qu’une fraude (Cass. soc., 12 avr. 2012, n° 11-12.483 : un stratagème délibérément mis en œuvre par la salariée avec les membres de sa famille afin d’obtenir paiement d’heures de travail inexistantes n’est pas une faute lourde).
Les actes d’un salarié ayant de hautes responsabilités sont-ils plus enclins à être qualifiés de faute lourde ? Pas nécessairement, comme l’arrêt du 8 février l’illustre. Quelles que soient les fonctions occupées dans l’entreprise, l’employeur doit établir l’intention de nuire, laquelle ne saurait découler du seul statut du salarié.

 Faute lourde ou faute grave ?

Si la faute n’est pas lourde, elle peut être grave. Le juge du fond peut en effet être conduit à requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement pour faute lourde. C’est le sens de l’arrêt commenté, et peut-être l’intérêt principal, qui insiste sur le fait que « la cour d’appel avait caractérisé la faute grave du salarié ».
Favorable à l’employeur, la situation peut apparaître paradoxale à plusieurs égards. D’une part, alors que la faute lourde a perdu en grande partie son intérêt depuis la censure de l’article L. 3141-26 du Code du travail, la Cour de cassation n’a de cesse de rappeler la rigueur des critères sur lesquelles cette faute repose. D’autre part, au lieu de mettre en œuvre un régime dissuadant les employeurs d’y recourir, la Cour de cassation leur confère un droit à l’erreur puisque les faits peuvent être requalifiés par le juge du fond en faute grave, avec quasiment les mêmes effets que la faute lourde, si ce n’est que le salarié ne pourra pas voir engagée sa responsabilité pécuniaire.

Comme le dit la Cour de cassation, « la cour d’appel ayant caractérisé la faute grave du salarié, la cassation intervenue, si elle atteint le chef de dispositif relatif à l’existence d’une faute lourde, ne s’étend pas aux chefs de dispositif déboutant le salarié de ses demandes relatives, d’abord au salaire et aux congés payés pendant la mise à pied conservatoire, ensuite aux indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, enfin à l’indemnité de licenciement ».

Avec ce droit à l’erreur, pourquoi l’employeur se priverait-il de tenter sa chance en se situant sur le terrain de la faute lourde, dès lors que les faits sont (alternativement) constitutifs d’une faute grave ? Les juges du fond, réceptifs à une qualification plus souple de la faute lourde, pourraient être complices de ce droit d’option implicite. Toujours est-il qu’en présence d’un juge du fond respectant les lignes directrices rigoureuses de la Cour de cassation, on imaginait mal qu’un salarié licencié en raison d’une faute grave avérée, exprimée dans la lettre de licenciement, ait pu plaider le licenciement sans cause réelle et sérieuse au seul motif que l’employeur se serait placé sur le terrain de la faute lourde. En ce sens, l’arrêt de la Cour de cassation se comprend.
Cette décision vient utilement compléter la construction de la Cour de cassation sur l’articulation entre faute grave et faute lourde. Rappelons que dans un arrêt du 25 janvier 2017, commenté dans cette même revue, il avait été jugé que dès lors que le licenciement du salarié était fondé sur une faute grave, la cour d’appel, qui n’avait pas retenu l’existence de faits, distincts de ceux visés par la lettre de licenciement, susceptibles de caractériser une faute lourde, avait violé le principe selon lequel la responsabilité pécuniaire d’un salarié à l’égard de son employeur ne peut résulter que de sa faute lourde (Cass. soc., 25 janv. 2017, n° 14-26.071).

Source : jurisprudence sociale Lamy