Dans trois arrêts du 14 novembre 2018, le Conseil d’État répond à plusieurs interrogations concernant l’application du régime de l’urbanisme commercial réformé par la loi Pinel.

CE 14 nov. 2018, req. n° 408952
CE 14 nov. 2018, req. n° 413246
CE 14 nov. 2018, req. n° 409833

La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, dite « loi Pinel », a simplifié les règles régissant l’urbanisme commercial en créant une autorisation unique d’urbanisme, le « permis tenant lieu d’autorisation commerciale ». Elle avait prévu que le nouveau régime d’autorisation unique entrerait en vigueur à la date fixée par le décret d’application à intervenir, et au plus tard six mois à compter de la promulgation de la loi, soit le 18 décembre 2014. Mais ce décret d’application est intervenu en retard par rapport à ce calendrier : il a été signé le 12 février 2015 et publié le 14 au Journal officiel. Il n’en fallait pas plus pour nourrir un contentieux sur les dispositions transitoires couvrant la période du passage d’un régime à l’autre.

La loi n’est pas applicable sans décret

Ainsi, dans le premier arrêt (n° 408952), la société Val de Sarthe soutenait que l’entrée en vigueur des dispositions de la loi du 18 juin 2014 n’était pas manifestement impossible en l’absence des dispositions d’application fixées par le décret d’application. Le Conseil d’État affirme clairement l’inverse : « Eu égard, d’une part, au caractère indivisible, voulu par le législateur, des modifications introduites par les articles 39 à 44 et 49 et, d’autre part, au fait que l’application de certains de ces articles, notamment ceux relatifs à la nouvelle composition des commissions départementales d’aménagement commercial et de la Commission nationale d’aménagement commercial, était manifestement impossible en l’absence de décret d’application, les dispositions du décret du 12 février 2015 […] ont pu légalement prévoir l’entrée en vigueur simultanée de tous ces articles au lendemain de sa propre publication. » Par conséquent, ne commet pas d’erreur de droit, la cour administrative d’appel (CAA) qui, pour juger de la légalité d’une décision de la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) prise le 16 janvier 2015, s’est fondée sur les dispositions de l’article L. 752-6 du code de commerce, dans leur rédaction antérieure à celle introduite par la loi du 18 juin 2014.

Compétences des CAA en premier et dernier ressort sauf si…

L’article L. 600-10 du code de l’urbanisme dispose que les recours contentieux contre les permis de construire tenant lieu d’autorisation d’exploitation commerciale doivent être directement introduits devant les cours administratives d’appel, compétentes en premier et dernier ressort. Le Conseil d’État précise néanmoins (n° 413246) que cette plénitude de compétence ne vaut « que si ce permis tient lieu d’autorisation d’exploitation commerciale ». Or, « il résulte des termes mêmes de l’article L. 425-4 du code de l’urbanisme qu’un permis, même délivré pour un projet soumis à autorisation d’exploitation commerciale en vertu de l’article L. 752-1 du code de commerce, ne peut jamais tenir lieu d’une telle autorisation lorsque le projet n’a pas été, au préalable, soumis pour avis à une commission départementale d’aménagement commercial [CDAC] ».

Actes susceptibles de recours

Toujours par l’effet de l’entrée en vigueur du décret du 12 février 2015, lorsqu’un projet soumis à autorisation d’exploitation commerciale a fait l’objet d’un permis de construire délivré avant le 15 février 2015, celui-ci ne tient pas lieu d’autorisation d’exploitation commerciale (C. urb., art. L. 425-4). Le Conseil d’État est amené à distinguer, dans une troisième affaire (n° 409833 ; v. sur cette affaire, l’arrêt de la CAA Douai, 23 févr. 2017, n° 15DA01287, Cne de Rouen, AJDA 2017. 1064 , note F. Bouyssou ), les cas d’ouverture du recours. Ainsi, « la décision de la [CNAC] intervenue sur un recours dirigé contre une décision de la [CDAC] relative à ce projet antérieure au 15 février 2015 est un acte administratif faisant grief, susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Il en va ainsi aussi bien lorsque la décision de la CNAC est intervenue avant le permis de construire que dans le cas où, en raison de la durée d’instruction du recours contre la décision de la CDAC, elle intervient après celui-ci, y compris, ainsi qu’il résulte du V de l’article 4 du décret du 12 février 2015, lorsque la décision de la CNAC est postérieure au 14 février 2015 ».

Un permis de construire délivré après le 14 février 2015 et ayant donné lieu à un avis de la CDAC peut « faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif, en tant qu’il tient lieu d’autorisation d’exploitation commerciale ». Il résulte des dispositions de l’article L. 600-1-4 du code de l’urbanisme que « ce recours est ouvert aux personnes mentionnées à l’article L. 752-17 du code de commerce et […] seuls sont recevables à l’appui de ce recours les moyens relatifs à la légalité du permis en tant qu’il tient lieu d’autorisation d’exploitation commerciale ».

Enfin si, en raison de la situation transitoire créée par l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, un projet a fait l’objet d’une décision de la CNAC avant le 15 février 2015 et d’un permis de construire délivré, au vu de cette décision, après le 14 février 2015, « seule la décision de la CNAC est susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir en tant qu’acte valant autorisation d’exploitation commerciale ». En effet, précise la haute juridiction, « l’autorisation d’exploitation commerciale ayant déjà été accordée, le permis de construire ne peut alors […] faire l’objet d’un recours qu’en tant qu’il vaut autorisation de construire ».

Source : Editions DALLOZ