La Cour de cassation casse un arrêt de la cour d’appel de Grenoble qui avait condamné un concubin au paiement d’une créance correspondant à la moitié des frais de logement et d’électricité exposée par sa concubine au cours de leur union, faute, pour les juges du fond, d’avoir constaté l’existence d’un accord entre les parties sur la répartition des charges de la vie commune.

Civ. 1re, 19 déc. 2018, F-P+B, n° 18-12.311

Ce n’est pas encore aujourd’hui que la Cour de cassation consacrera un droit commun des couples, notamment du point de vue de la participation aux dépenses inhérentes à la vie commune.

L’arrêt de cassation rendu par la première chambre civile le 19 décembre 2018 reprend une solution ancienne mais la publication de l’arrêt avec un visa traditionnel auquel la Cour de cassation semblait avoir renoncé pourrait traduire le retour d’une certaine fermeté dans le refus d’assimiler les concubins aux époux.

En l’espèce, après quatorze mois de vie commune, deux concubins se séparent. On comprend, à la lecture des moyens, que le concubin, M. J…, avait été hébergé gratuitement par sa concubine, Mme K…, durant cette période. Il ressort également de l’arrêt que c’est M. J… qui a assigné en justice Mme K… aux fins de recouvrir diverses sommes remises à celle-ci, notamment en lien avec le commerce de cette dernière. Parmi les sommes évoquées, Mme K… ne se reconnaissait débitrice que d’un montant correspondant au solde de prix concernant le rideau de son commerce et des frais d’électricité du local. Toutefois, elle invoquait une compensation de cette somme avec une créance qu’elle affirmait détenir sur M. K… au titre de l’hébergement gratuit de celui-ci pendant la vie commune. Elle évaluait cette créance à la moitié du loyer et de l’électricité réglés par elle durant la période.

Les juges du fond, après avoir affirmé qu’aucun texte ne prévoyait une contribution aux charges du ménage des concubins et que chacun d’eux devait être réputé devoir supporter les dépenses de la vie courante par lui exposées, considèrent néanmoins que l’appelante démontre détenir une créance à l’encontre de M. J…. La cour d’appel accueille ainsi l’argument de Mme K… et déboute en conséquence M. J… de toutes ses demandes. Ce dernier se pourvoit en cassation en invoquant notamment la violation de l’article 214 du code civil.

Le moyen est classique qui consiste à invoquer cet article pour soutenir qu’il ne concerne que les époux à l’exclusion des concubins et qu’il n’impose donc pas à ces derniers de contribuer aux « charges du ménage ». Il en découle une cassation quelque peu « paradoxale » où la Cour de cassation, au visa de l’article 214, reprend quasiment mot pour mot les motifs des juges du fond sur ce point mais en tire simplement la conclusion inverse ! La haute juridiction rappelle ainsi « qu’aucune disposition légale ne règle la contribution des concubins aux charges de la vie commune, de sorte que chacun d’eux doit, en l’absence de volonté exprimée à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu’il a engagées » et reproche en conséquence à la cour d’appel d’avoir retenu une créance au titre d’une telle contribution sans constater l’existence d’un accord entre les parties sur la répartition des charges de la vie commune.

Lorsque le couple est marié ou pacsé, le droit régit la charge finale de ces dépenses indépendamment des modalités d’exécution de fait en prévoyant, schématiquement (il reste quelques différences entre les deux formes d’union mais ce n’est pas le propos), une contribution de chacun aux charges du ménage à proportion de leurs facultés respectives. C’est le principe instauré, sauf dispositions contraires, dans le mariage par l’article 214 du code civil et dans le PACS par l’article 515-4 du code civil. Surtout, ces articles prévoient que, si l’un époux ou des partenaires n’a pas contribué assez, l’autre peut l’y contraindre. Rien de tel a priori dans le concubinage, puisque – c’est le sens du rappel de la Cour de cassation – « aucune disposition légale ne règle la contribution des concubins aux charges de la vie commune ». La conséquence logique en est qu’il n’est pas possible de contraindre un concubin à une telle contribution et donc que « chacun d’eux doit supporter les dépenses de la vie courante qu’il a engagées ». C’est le droit en l’état des textes.

Le raisonnement semble si implacable qu’on pourrait se demander où est le débat.

Le débat trouve essentiellement sa source, d’une part, dans un aménagement du principe rappelé et, d’autre part, dans la prise en compte prétorienne d’une telle obligation que la Cour de cassation se refuse pourtant à consacrer en tant que telle.

L’aménagement réside dans la possibilité reconnue aux concubins de convenir d’une contribution aux charges de la vie commune. C’est le ressort de la cassation dans l’arrêt qui nous occupe. Il rappelle que les concubins sont libres d’aménager conventionnellement une contribution aux charges de la vie commune. La solution n’est pas nouvelle puisqu’elle est régulièrement affirmée par la haute juridiction depuis 1991 (Civ. 1re, 19 mars 1991, n° 88-19.400, RTD civ. 1991. 507, obs. J. Hauser)

Il ressort de ce qui vient d’être exposé que l’arrêt sous examen, par sa publication, n’a sans doute pas d’autre objet que celui de rappeler que, quelle que soit la souplesse dont la Cour de cassation peut parfois faire preuve en matière de liquidation des intérêts entre concubins, en particulier dans le cadre de l’enrichissement sans cause (injustifié), elle garde le cap fixé en 1991 : si un concubin souhaite obliger l’autre à participer aux charges de la vie commune, il faudra que soit établie l’existence d’un accord, même tacite, en ce sens.

Source : Editions DALLOZ