Un salarié peut désormais être sanctionné pour avoir partagé un « post » sur Facebook, Twitter, LinkedIn… à certaines conditions, ébauchées par les juges du fond. Faute de législation spécifique sur le sujet, la Cour de cassation leur laisse une grande marge de manœuvre. Et s’il semble difficile de déceler de véritables lignes directrices pour le moment, des balises sont malgré tout progressivement en train de se mettre en place.

Ce qu’un salarié partage sur un réseau social peut justifier une sanction disciplinaire

Liberté d’expression et respect de la vie privée du salarié s’opposent en principe à la sanction disciplinaire. Mais encore faut-il que les propos du salarié ne constituent pas un manquement contractuel. Il faut d’abord savoir en quoi consiste la faute. Elle peut être caractérisée si le salarié dénigre ou insulte l’employeur, ou même un autre salarié. Dans le cas du salarié d’Amazon licencié pour ses propos tenus sur Facebook, par exemple, le manquement à l’obligation de loyauté ayant motivé le licenciement pourrait être difficile à tenir jusqu’au bout de la chaîne judiciaire. Reste ensuite à apprécier un certain nombre de paramètres : l’imputabilité de la faute, la diffusion et le mode d’obtention de la preuve par l’employeur. Ces éléments ne sont pas entièrement différents de ce que l’on retrouve dans d’autres domaines. Mais le fait qu’il s’agisse d’un (ou de) propos diffusé (s) sur un réseau social pose des difficultés nouvelles. Qu’il s’agisse de délimiter ce qui entre dans la sphère privée ou publique, ou de déterminer avec certitude que l’auteur est bien le salarié sanctionné. Ce sont les points focaux sur lesquels il va y avoir une discussion quand il y aura un contentieux.

S’assurer que la faute est bien imputable au salarié

Il faut identifier l’auteur de la faute, vraisemblablement de l’écrit qui est diffusé sur un réseau. Ce n’est pas nécessairement évident. Lorsqu’on dispose d’un écrit, l’auteur est facile à identifier, sous réserve, évidemment, en cas de contestation, d’un examen en comparaison d’écriture, au moyen d’une expertise graphologique, le cas échéant. En revanche, quand il ne s’agit ni d’un « face-à-face » avec des témoins oculaires, ni d’un écrit, les choses se compliquent. C’est l’une des difficultés qu’il faudra gérer dans les années à venir. Dans le domaine des réseaux sociaux, les usurpations d’identité sont fréquentes. Ne serait-ce que dans le cadre de l’entreprise, on pourrait très bien avoir une situation dans laquelle un salarié se fait passer pour un collègue qu’il n’apprécie pas et diffuser sous son identité des propos dénigrant l’employeur. C’est techniquement possible. Il y aura très certainement des contentieux sur ce point. Qui plus est, une fois la question de l’auteur résolue, reste encore à déterminer dans quelle mesure le réseau est suffisamment accessible et diffusé pour pouvoir constituer une preuve admissible.

Déterminer le type de diffusion

Déterminer s’il s’agit d’une sphère privée ou publique relève de l’appréciation souveraine du Juge. La Cour de cassation ne procède donc pas un contrôle rigoureux sur cette question. Dans une affaire, la cour d’appel a relevé que les propos litigieux avaient été diffusés sur le compte ouvert par la salariée sur Facebook, mais n’avaient été accessibles qu’à un groupe fermé composé de 14 personnes, de sorte qu’ils relevaient d’une conversation de nature privée. La cour d’appel en a déduit qu’il n’y avait ni une faute grave, ni un motif suffisamment sérieux pour justifier le licenciement. La Cour de cassation considère que la décision est suffisamment motivée au regard du sujet. (Cass. soc., 12 sept. 2018, nº 16-11.690)
La Cour considère simplement qu’avec les éléments qui lui étaient soumis, le juge a raisonnablement considéré qu’il s’agissait d’un réseau fermé. Mais si le groupe avait été composé de 30 personnes au lieu de 14 et que parmi elles se trouvaient des salariés de l’entreprise, celui-ci aurait pu conclure l’inverse. Autrement dit, la Cour de Cassation ne contrôle pas tous les paramètres et laisse au juge le soin de se référer à l’orientation suivante : il existe certains réseaux sociaux extrêmement ouverts, et d’autres très fermés. C’est ce qui va logiquement distinguer la sphère privée de la sphère publique.

Un élément de preuve extrait d’un réseau social est-il recevable ?

Le fait d’apporter des captures d’écran ou des éléments d’un réseau est régulièrement critiqué mais n’est pas considéré comme une preuve irrecevable par les parties. Ces éléments de preuve ne sont pas irrecevables en tant que tels. Le juge dispose en effet d’une certaine liberté d’appréciation de la preuve. En tant que preuve, il n’y a donc pas de difficulté.
C’est davantage en termes d’obtention de l’élément de preuve qu’il peut y avoir un problème. Il faut déterminer comment l’employeur a pu avoir accès à l’information (Cass. soc., 20 déc. 2017, nº 16-19.609 à propos d’informations obtenues par l’employeur à partir du téléphone portable d’un autre salarié, ce qui a été considéré comme une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée du salarié par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence).

La jurisprudence actuelle

Des balises se mettent progressivement en place sur les trois paramètres suivants :

– l’imputabilité,
– la diffusion,
– le mode d’obtention de la preuve.

Il est donc conseillé aux employeurs de poser clairement des règles au sein de l’entreprise par le biais du règlement intérieur ou d’une charte informatique.

Source Wolters Kluwer